Thami Bennani : Disparition mystérieuse et deuil inachevé…
- 13 octobre 2022
- Publié par : Najoua ACHOUR
- Catégorie : Psychologie
14 mars 2007… Une journée qui commence normalement mais qui, jusqu’à aujourd’hui, n’est encore pas finie pour Hayat Alami… Une maman qui ressent toujours les mêmes sentiments de tristesse, une peine pareille que celle ressentie il y a 15 ans et une douleur émotionnelle qui s’intensifie de jour en jour ou à chaque fois qu’elle se rend compte que la ou les preuves qu’elle détient ne sont malheureusement pas suffisantes pour découvrir la vérité de cette mystérieuse disparition… Malgré tout cela, la mère de Thami Bennani est loin de perdre espoir et cherchera toujours à dénouer cette affaire en déployant une énergie semblable à celle du premier jour !
Si nous cherchons à analyser de plus près l’état et les réactions de cette dame, nous nous rendrons compte qu’elle ne mène pas ce combat uniquement pour rendre justice à son fils mais aussi pour mettre fin à ce deuil inachevé…
Pourquoi parlons-nous de « deuil » alors que nous ne sommes toujours pas sûr de sa mort ? Tout simplement, parce qu’un deuil n’est pas forcément lié à la perte d’un proche mais plutôt au changement… La vie de cette maman n’a pas seulement changé mais a totalement été chamboulée.
Pourquoi disons-nous alors que son deuil est « inachevé » ? … Parce que nous pensons que cette maman n’a pas eu la chance de vivre toutes les étapes que la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross a choisies pour schématiser le processus du deuil : Déni, Colère, Marchandage, Dépression et acceptation.
Certes, ces étapes ne sont pas linéaires et ne sont pas forcément vécues par tous de la même manière mais nous pensons que tant que l’affaire n’est pas clôturée, Hayat Alami ne pourra jamais vivre pleinement son deuil…
Le déni :
Ce n’est qu’un cauchemar, Thami va bientôt revenir
D’après le vécu de la majorité des personnes, l’étape du déni vient généralement au tout début du processus de deuil ; et plus précisément au moment de l’annonce. Tellement choquée, la personne en question refuse de croire ni d’accepter cette nouvelle pour s’auto protéger et créer son propre mécanisme de défense contre la souffrance qu’elle pourrait ressentir.
Pour éviter de tomber dans le piège de l’inquiétude que pourrait déclencher son instinct maternel, Hayat Alami a accepté la nouvelle en se basant sur un travail de rationalisation. C’est-à-dire qu’elle a toléré l’idée qu’il était déjà minuit et que son fils n’était toujours pas rentré en essayant d’être raisonnable et de se dire que du moment que son frère l’a vu avec ses copains en voiture c’est qu’il est forcément avec eux… Toutefois, plus les heures passaient, plus elle se rendait compte que ces arguments n’étaient plus vraiment “raisonnables”. Elle garde quand même son sang-froid et décide d’agir en suivant une certaine logique : aller le chercher à l’école et rencontrer ses copains avec qui il a été vu la dernière fois.
A sa grande surprise, on lui annonce que Thami s’était drogué et qu’il serait mort d’une overdose… Et c’est là que la maman a refusé totalement d’accepter cette version en répétant que son fils ne s’adonne pas aux drogues. Mais, malheureusement pour elle, ceci était la seule piste qu’elle détenait, elle n’avait pas d’autres choix que de l’accepter malgré elle… Elle passe alors à l’étape suivante : le marchandage
Le marchandage :
Ce n’est pas trop tard… On peut toujours retrouver Thami
Encore sous le choc, cette maman essaie de rétablir au plus vite cette situation. Elle cherche à changer ce sort en essayant à tout prix d’avoir des réponses aux multiples questions qui tourmentent son esprit et qui l’aideront enfin à retrouver son fils, puisque c’est injuste pour elle de le perdre…
Les comportements de la mère ici sont semblables à ceux que l’on vit pendant la phase de marchandage. En effet, lors de cette étape, la personne en deuil tente de restaurer la situation tout en négociant le retour du défunt par exemple, ou de trouver des solutions, parfois irrationnelles, qui remettront toutes les choses dans l’ordre et qui donc lui éviteront de vivre toute cette souffrance. La seule différence ici, c’est que Hayat Alami est à la recherche d’explications plus ou moins logiques qui soulageront sa souffrance et l’aideront à accepter la situation telle qu’elle soit. C’est comme si elle souhaitait avoir une version cohérente des faits qui lui permettra de trancher entre ces deux voix qui n’arrêtent pas de résonner dans sa tête : celle qui dit que son fils a juste disparu et qu’elle va finir par le retrouver et celle qui ne cesse de lui répéter qu’il est impossible que Thami soit encore vivant…
Hélas, aucune de ces négociations n’a pu aboutir à des résultats, ce qui commence un peu à déclencher une certaine irritation chez la maman de Thami.
La colère :
Tout le monde est responsable de cette souffrance
Ceci n’aurait jamais eu lieu si je lui avais interdit d’assister à cette fête… Ceci ne serait jamais arrivé si j’avais contrôlé ses fréquentations… Thami serait maintenant à mes côtés si c’était moi qui l’avait déposé au lycée ce jour-ci… La souffrance que je ressens pendant toutes ces années n’aurait pas eu lieu non plus si ses amis m’avaient raconté toute la vérité… Tout ceci n’aurait pas dû se produire selon Hayat Alami.
Après avoir tenté en vain et par tous les moyens, de trouver une solution à cette énigme, elle accuse tout le monde de ce qui lui arrive : elle est en colère contre elle-même qui jusqu’à maintenant n’a toujours pas pu retrouver son fils, contre ses amis et leurs parents qui ne lui annoncent pas toute la vérité, contre la police et les médias qui, selon elle, n’ont pas mis en œuvre tous les efforts nécessaires pour retrouver Thami et contre TOUTE cette situation qui l’empêche de vivre paisiblement.
Et ce sont exactement ce genre de comportements qu’a décrit Elisabeth Kübler-Ross pour définir l’étape de la colère. D’après ce qu’elle avait avancé dans son livre « Sur le chagrin et le deuil », cette phase survient juste après que la personne en deuil prenne conscience de la réalité des choses et qu’elle comprenne que ce qui lui arrive est vrai; que c’est loin d’être un rêve. Elle devient donc furieuse contre tous, et passe par une épreuve beaucoup plus douloureuse, généralement leadée par un ensemble de réactions et d’émotions très fortes : accusations, révolte, culpabilité, haine…
Dépression et Acceptation :
Des étapes toujours pas atteintes…
Selon Elisabeth Kübler-Ross, la dépression et l’acceptation viennent généralement en dernier : après avoir tout essayé pour éviter la souffrance émotionnelle que procure la situation ou pour changer ce vécu par n’importe quelle manière possible, la personne en deuil finit par céder et décide de vivre d’abord la douleur et finir par l’accepter pour pouvoir reprendre sa vie normalement.
Dans notre cas, nous pensons que Hayat Alami n’a toujours pas vécu ces deux étapes. Pourquoi ? Parce qu’il manque des pièces à son puzzle ; elle n’a toujours pas de preuve concrète qui affirme qu’elle a perdu définitivement son fils… Parce qu’elle se réveille chaque jour dans l’espoir de retrouver Thami et de pouvoir écrire une fin à son histoire… Elle se retrouve donc bloquée entre le déni, le marchandage et la colère tout en oscillant d’une phase à l’autre. C’est pourquoi elle a besoin et a le droit d’avoir toutes les conditions nécessaires pour compléter son processus de deuil.
#justicepourthamibennani
Excellent article et excellente interprétation
Excellente analyse du cas cette maman